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parcours 1 : mélisme descendant sur voyelle longue et diphtongue en Thesis

dimanche 8 juin 2008

Conseil pratique : pour suivre commodément chaque parcours et écouter en même temps les exemples sonores qui figurent en documents joints (voir au bas de l’article), je vous conseille
- soit d’ouvrir deux fenêtres identiques
- soit d’imprimer le parcours et d’activer les exemples sonores proposés pour certaines sections

Commençons donc à la grecque, directement par un exemple homérique, dont la "partition" proposée par le logiciel SCANDE&CHANTE de Gilles de Rosny, ainsi que mon interprétation sonore, se trouvent sur le site [1].

Soit les 10 vers du discours d’Ulysse, Odyssée, chant 9, vers 19-28 :

9 εἴμ᾽ Ὀδυσεὺς Λαερτιάδης, ὃς πᾶσι δόλοισιν

10 ἀνθρώποισι μέλω, καί μευ κλέος οὐρανὸν ἵκει.

11 ναιετάω δ᾽ Ἰθάκην ἐυδείελον· ἐν δ᾽ ὄρος αὐτῆι

12 Νήριτον εἰνοσίφυλλον, ἀριπρεπές· ἀμφὶ δὲ νῆσοι

13 πολλαὶ ναιετάουσι μάλα σχεδὸν ἀλλήληισι,

14 Δουλίχιόν τε Σάμη τε καὶ ὑλήεσσα Ζάκυνθος.

15 αὐτὴ δὲ χθαμαλὴ πανυπερτάτη εἰν ἁλὶ κεῖται

16 πρὸς ζόφον, αἱ δέ τ᾽ ἄνευθε πρὸς ἠῶ τ᾽ ἠέλιόν τε,

17 τρηχεῖ᾽, ἀλλ᾽ ἀγαθὴ κουροτρόφος· οὔ τοι ἐγώ γε

18 ἧς γαίης δύναμαι γλυκερώτερον ἄλλο ἰδέσθαι.

1) choisissons une série de mots portant le ton sur un élément long naturellement (en gras). Nous trouvons, dans chaque vers la liste suivante :

vers 9 εἴμ᾽ / Ὀδυσεὺς / πᾶσι /

vers 10 ἀνθρώποισι / καί /κει /

vers 11 ἐυδείελον / αὐτῆι /

vers 12 Νήριτον /νῆσοι /

vers 13 πολλαὶ / ἀλλήληισι /

vers 14 Δουλίχιόν τε /ὑλήεσσα /

vers 15 αὐτὴ / χθαμαλὴ / κεῖται /

vers 16 ἠ / ἠέλιόν τε /

vers 17 τρηχεῖ᾽ / ἀγαθὴ / ἐγώ /

vers 18 ἧς / γαίης / γλυκερώτερον / ἄλλο

2) classons ces mots selon leur profil accentuel, en commençant par le plus simple à repérer et à réaliser, l’accent circonflexe, ou "périspomène" (la voix, d’abord aiguë sur la première moitié de l’élément vocalique, descend vers le grave, ou atone, sur la seconde moitié)
 [2]

nous dressons la liste suivante :

vers 9 πᾶσι

vers 11 αὐτῆι

vers 12 νῆσοι

vers 15 κεῖται

vers 16 ἠ

vers 17 τρηχεῖ᾽

vers 18 ἧς

3) Prononçons plusieurs fois cette liste, en respectant bien la durée des syllabes de chaque mot, ET SANS PRONONCER PLUS FORT LA SYLLABE TONIQUE :

πᾶσι : long+bref (trochée des métriciens)

αὐτῆι : long+long (spondée des métriciens). Mais prononcez bien le iota adscrit après la syllabe intonée, qui allonge la durée de ce second élément.

νῆσοι, κεῖται : long + ? (la diphtongue finale, du point de vue des lois d’accentuation, est brève, mais si le mot n’était pas en fin de vers, elle pourrait être métriquement traitée comme longue)

 : long+long (un spondée "pur", car les deux éléments ont une durée égale, deux voyelles longues). Comparez avec la durée légèrement inégale de αὐτῆι.

τρηχεῖ᾽ : long+long (spondée artificiel, à cause de l’élision, juste avant la césure)

ἧς : long (monosyllabe, premier pied du spondée ἧς γαί-)

4) Rappel : l’hexamètre, comme tout rythme, est bâti sur l’alternance entre Thesis (T ou temps "posé") et Arsis (A ou temps "levé"). [3]

T A T A T A T A T A T A

Toute T contient un élément long, seule A peut contenir deux éléments brefs au lieu de l’élément long.

5) Devinette : dans notre série des mots "périspomènes", quel est le seul qui n’ait qu’une seule position T A possible, alors que tous les autres peuvent se placer en T A ou en A T ?

6) Replaçons maintenant nos 8 mots dans l’aternance T A de chaque vers, en soulignant T. Nous trouvons :

vers 9 πᾶσι : T A

vers 11 αὐτῆι : T A

vers 12 νῆσοι : T A

vers 15 κεῖται : T A

vers 16 ἠ : T A

vers 17 τρηχεῖ᾽ : T A

vers 18 ἧς : T

8) nous voyons tout de suite que la syllabe intonée est tantôt sur T :

vers 9 πᾶσι : T A

vers 12 νῆσοι : T A

vers 15 κεῖται : T A

vers 18 ἧς : T

tantôt sur A :
vers 11 αὐτῆι : T A

vers 16 ἠῶ : T A

vers 17 τρηχεῖ᾽ : T A

Ne sentez-vous pas pourtant une impression mélodique et rythmique très différente ?
Si OUI, félicitations ! vous êtes entré(e) en Tonotopie !
 [4]
Si NON, ne vous découragez pas ! Vous êtes métricien...

9) Notre liste des mots "périspomènes" ne contient pourtant pas tous les mots du passage qui possèdent ce mélisme. Il faut y ajouter les mots dont la syllabe intonée comporte une voyelle suivie d’une sonante (lambda, mu, nu rhô). On sait qu’en indo-européen, le groupe voyelle+sonante était une diphtongue. Prenons le premier mot de l’Odyssée,
Ἄνδρα : long+bref. Le ton porte sur la première partie de la diphtongue, soit alpha, puis redescend sur la seconde, soit nu, comme dans πᾶσι.
Rajoutons alors les mots du texte dont le ton porte sur le premier élément du groupe voyelle+sonante :

vers 14 : Δουλίχιόν τε (accent d’enclise devant syllabe brève) / (TA)TA

vers 15 : ἠέλιόν τε (même figure) / (TA)TA

vers 16 : ἄλλο (alpha intoné, lambda atone, syllabe suivante brève) / TA

Vu que la syllabe suivant le ton est brève dans ces trois mots, leur syllabe intonée ne peut se placer que sur T.

10) J’appelle intensio (ou tension du ton sur le temps posé) cette figure mélo-rythmique que nous venons d’étudier, [5]et je la note I1, I2, I3, I4, I5, I6, selon le numéro de la T où elle apparaît dans l’hexamètre. Repérons-là dans l’ensemble de notre passage :

9 εἴμ᾽ Ὀδυσεὺς Λαερτιάδης, ὃς πᾶσι δόλοισιν I5

10 ἀνθρώποισι μέλω, καί μευ κλέος οὐρανὸν ἵκει.

11 ναιετάω δ᾽ Ἰθάκην ἐυδείελον· ἐν δ᾽ ὄρος αὐτῆι

12 Νήριτον εἰνοσίφυλλον, ἀριπρεπές· ἀμφὶ δὲ νῆσοι I6

13 πολλαὶ ναιετάουσι μάλα σχεδὸν ἀλλήληισι,

14 Δουλίχιόν τε Σάμη τε καὶ ὑλήεσσα Ζάκυνθος. I2

15 αὐτὴ δὲ χθαμαλὴ πανυπερτάτη εἰν ἁλὶ κεῖται I6

16 πρὸς ζόφον, αἱ δέ τ᾽ ἄνευθε πρὸς ἠῶ τ᾽ ἠέλιόν τε, I6

17 τρηχεῖ᾽, ἀλλ᾽ ἀγαθὴ κουροτρόφος· οὔ τοι ἐγώ γε

18 ἧς γαίης δύναμαι γλυκερώτερον ἄλλο ἰδέσθαι. I1 I5

On la voit se plaire ici vers la fin du vers (5/7 fois) mais elle peut "remonter" vers l’initiale, comme au vers 18, le seul à être "encadré" par deux intensiones, quasi symétriques, où je verrais volontiers une matrice tonotopique, sorte de répons d’un bout à l’autre du vers...Et pourquoi ne pas écouter verticalement aussi l’écho des I6, νῆσοι, κεῖται, ἠέλιόν τε, qui tissent entre elles les fins de vers, et nos deux I5, qui encadrent le passage, πᾶσι et ἄλλο ? Et pourquoi ce resserrement des occurrences sur la fin du passage ?Et quelle emphase mettre (ou ne pas mettre) en chantant ce mélisme sur des mots comme "pour tous", "îles", "est sise", "soleil", "cette" (terre), rien "d’autre" de plus doux à voir ?

Mais nous allons trop vite, avant d’avoir exploré les autres figures sur élément long, tant la tonotopie réclame sa stylistique, et tente le phrasé !

Emmélès


[1voir Café Homérique, séance du 8 décembre 2007, où vous trouverez le rendu graphique de la scansion et de la mélodie des vers, ainsi que le fichier audio

[2C’est l’avis commun des linguistes, même si Stephen Daitz, dans sa réalisation de l’accent circonflexe, considère que la voix part de l’atone, monte, puis redescend, d’après son interprétation du signe graphique dû à Aristophane de Byzance.

[3Nous n’ouvrirons pas la boîte de Pandore du "temps fort". Nous vous renvoyons aux différents articles et commentaires de Philippe Brunet dans le site.

[4vous expérimentez-là ce que les anglais appellent le remapping, ou capacité d’un mot spondaïque à "bouger" dans l’hexamètre.

[5on trouve chez S. Allen, Knight, et les chercheurs qui se sont intéressés à l’accent dans le vers le terme d’homodyne, ou coïncidence du ton et du temps "fort". Des statistiques existent sur ce sujet, mais on ne s’est jamais intéressé à l’éventuelle...beauté du phénomène, ni d’ailleurs des autres figures tonales.

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