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Antigone, dernières paroles
mercredi 29 avril 2015
ANTIGONE
Ma tombe, ma chambre d’hyménée, ma maison d’en-bas
à tout jamais, je viens à vous, et ce chemin
me mène vers les miens, les défunts parmi les morts,
ceux que Perséphone a presque tous déjà reçus,
et vers lesquels, la dernière et la plus misérable, moi,
je descends, avant d’avoir accompli ma part de vie.
Me voici, j’arrive, et je nourris au moins l’espoir
d’être proche de mon père, et proche aussi de toi,
ma mère, et proche de toi, visage fraternel.
N’est-ce pas qu’à votre mort, de ma propre main je vous
ai donné le bain, vous ai vêtus, ai versé pour vous
les offrandes rituelles ? Polynice, pour les soins
que j’ai donnés à ton corps, voilà ce que j’ai gagné.
Pour les gens sensés je t’ai rendu les derniers honneurs.
Jamais, pas même si j’avais eu des enfants,
pas même si mon époux était mort et pourrissait,
je n’aurais enduré de heurter les citoyens.
Quelle est la loi qui veut que je te parle ainsi ?
Mon mari mort, je pouvais en trouver un autre, avoir
un enfant d’un autre époux, s’il venait à mourir.
Mais ma mère et mon père disparus sous la terre en bas,
jamais un autre frère ne viendrait au jour.
Voilà ce que je t’ai préféré, mon principe à moi,
ma loi, voilà ce qui me vaut ma faute selon Créon,
mon effroyable audace, ô visage fraternel.
Il m’a saisie, m’emmène, moi qui n’ai connu
ni le lit ni l’hyménée, qui n’ai pas reçu ma part
du mariage, qui n’ai pas nourri d’enfant.
Et voici que misérable, abandonnée des miens,
je descends, vivante encore, au séjour des morts, en-bas :
qu’on me dise quelle justice divine j’ai trahie.
Pourquoi te faut-il encore, pauvrette, tourner les yeux
vers les dieux ? A qui demander de l’aide ? Ma pïété
ne m’aura valu que de mériter l’impïété.
Si c’est vraiment cela, que les dieux appellent beau,
je reconnais ma faute et j’accepte mon châtiment.
Mais si la faute leur revient, je ne veux pas plus,
pour leur châtiment, que ce qu’ils me font en dépit du droit.
Traduction de Philippe Brunet, créée au théâtre du Nord Ouest en 2005. Au répertoire de la compagnie Démodocos de 2006 à 2015. Edition du relief 2009. Dernières représentations : Dionysies, mars 2015.