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Sur le temps marqué

d’après Louis Havet

mardi 27 novembre 2007

Le temps marqué est une notion qui a été utilisée par les métriciens français Louis Havet, Alphonse Dain, Jean Irigoin.

Sur le temps marqué

Extrait du Cours élémentaire de métrique grecque et latine de Louis Havet, rédigé par Louis Duvau (4e édition, Paris 1896) :

Dans le vers épique, "le demi-pied fort est celui qui porte le temps marqué et sur lequel la voix appuie" (§1)

"Nous désignons par temps marqué un endroit du vers où on bat la mesure, et que la voix met en relief par un accroissement d’intensité : on l’appelle souvent ictus, percussio. Le temps marqué est un point indivisible de la durée ; il coïncide avec le commencement du demi-pied fort. - Le retour des temps marqués, à intervalles mesurés, constitue ce qu’on appelle en grec le rythme ou flux (rhuthmos, de rheô ; formé comme ba-thmos, sta-thmos) [1], en latin le nombre (numerus, ou, au pluriel, numeri). Cicéron, De Or. III 186 : numerus autem in continuatione nullus est ; distinctio, et aequalium aut saepe uariorum interuallorum percussio, numerum conficit ; quem in cadentibus guttis, quod interuallis distinguuntur, notare possumus, in amni praecipitante non possumus (§1).

Commentaire :

Il y aurait beaucoup à dire sur cette définition de Louis Havet. J’y vois la tentative d’extraire de la conception rythmique fondamentale qui oppose temps fort et temps faible un point abstrait de la durée, ce qui est une démarche typiquement métricienne.
Toutefois, je note que ce point est encore lié à la notion rythmique de temps fort. Comment "met-on en relief par un accroissement d’intensité" un point indivisible de la durée ?
Dans cette scansion dynamique avec ictus, c’est-à-dire avec marquage intensif du temps fort, il semble bien que temps fort et temps marqué soient strictement équivalents.

En tout cas, la réalisation des accents mélodiques des mots rend tout à fait improbable une scansion intensive. [2] Peut-on rendre sensible un rythme sans recourir à l’ictus ? C’est tout l’enjeu de ce que dit Cicéron. La continuité rend confus et indistinct le rythme. Qu’en est-il alors de la diction restituée sans ictus ? Doit-elle être pour autant sans marque ?

Dans la traduction de Courbaud et Bornecque (CUF), le latin de Cicéron est rendu ainsi : "Or il n’y a pas de rythme dans ce qui est ininterrompu. Ce sont les arrêts, ce sont les temps marqués à intervalles égaux ou souvent différents, qui constituent le rythme ; nous pouvons en noter un dans des gouttes qui tombent, parce qu’elles tombent à intervalles ; dans un fleuve impétueux, nous ne le pouvons pas."

Si l’on quitte le domaine de la philologie pour rejoindre celui de la musique, que n’avaient jamais quitté les Grecs, on se rend compte qu’une battue régissant l’interprétation musicale d’un chant ou d’une pièce instrumentale n’a jamais signifié un marquage intensif au moyen d’un ictus vocalement exprimé.

Reste que le temps marqué des métriciens garde sa validité dans le cadre d’un décompte des temps par mètre. Ce critère est un élément déterminant de l’analyse, notamment dans les parties chorales. Cette recherche a trouvé son aboutissement dans les analyses de Jean Irigoin, e. g. dans son édition de Bacchylide (CUF).


[1Sur l’étymologie de rhuthmos, on consultera les dictionnaires plus récents, et l’article de Benvéniste, qui a contesté ce rapport étymologique.

[2Cf. Lettre de Nietzsche à Carl Fuchs.

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