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Traduire le théâtre antique en vers rythmés français

sans passer par l’alexandrin ni le vers libre...

mercredi 29 avril 2015

Des expériences sur l’Agamemnon (A quand Agamemnon ?, hommage à Eschyle par Ph. Brunet en 1997, Agamemnon d’Eschyle traduit par G. Boussard en 2010, suivie des Choéphores, 2011 par G. Boussard et Ph. Brunet, et des Euménides, A. Münch 2011), les Perses (traduction d’A. Münch, Y. Migoubert et G. Boussard 2001), Antigone (Ph. Brunet 2005), aux récentes traductions des Bacchantes (Ph. Brunet 2013), d’Oedipe roi (Ph. Brunet 2005, créée en 2014) et Sept contre Thèbes (Ph. Brunet 2014) en passant par la comédie grecque (Grenouilles de S. Brunet 2003, Lysistrata de S. Durest et R. Durville 2015) ou latine (Amphitryon de N. Lakshmanan 2012), c’est en fait toute une école de théâtre qui s’est bâtie au fil des ateliers et du travail poétique.

Le trimètre iambique faisait partie des formes poétiques de Catulle transposées par André Markowicz dans son Livre de Catulle, paru en 1985.
Le premier essai de traduction du grec remonte au début des années 90, quand j’accompagnai Stephen Daitz lors de ses récitals. Je donnai alors la traduction de cet extrait d’Aias (Ajax) de Sophocle, publié en 1997 dans ma Naissance de la littérature dans la Grèce ancienne . On y entend une alternance de groupes syllabiques de 2 ou de 3 syllabes. Chaque groupe est accentué. 6 groupes font l’équivalent du trimètre iambique. Il faut au moins un groupe de 3 syllabes pour éviter les 12 syllabes de l’alexandrin classique français. Mais on n’évite pas toujours le vieux modèle. Une scansion bien marquée permet au moins d’en insérer le décompte à l’intérieur d’un système dont il ne représente que l’une des facettes.

Je republie ici cet essai de traduction un peu ancien. Ce furent mes premiers pas, avec un essai sur l’Oedipe à Colone, dans la métrique dramatique transposée du grec.

Comme en grec, l’enjambement est parfois assez raide et semble nier le vers. Les libertés syllabiques (métriques, en grec) donnent à la diction iambique quelque chose d’assez irrégulier, proche de la langue parlée, comme le disait Aristote.

Je marque en gras les syllabes qui tombent sous le temps fort.

Pour l’interprétation de ces vers tragiques, je recommande d’entrer préalablement dans une connaissance du rythme d’Homère. Apparemment d’attaque rythmique tout à fait opposée, le vers dactylique est néanmoins sous-jacent à tous les autres vers de la poésie grecque. Cette dimension esthétique est essentielle pour ne pas tomber dans le pathos le plus larmoyant. Homère corrige ses élèves et les tient toujours par la syllabe initiale, même quand celle-ci est au temps faible de l’attaque iambique. Il en va de même pour la régulation de la gestuelle.

815 L’instrument du sacrifice m’offre son

le plus coupant, si les calculs ont encore cours

un don d’Hector, cet homme qui, de mes hôtes, m’est

le plus abomi, le plus infect à voir.

Le voici fiché dans le sol troyen, terre ennemie,

820 tout affûté de frais sur la pierre ronge-fer.

Je l’ai planté avec un soin particulier,

afin qu’il m’aide à trouver rapidement la mort.

Voilà, de mon côté, comment je pourvois à tout.

A toi, ô Zeus, le premier, de me porter secours.

825 Bien maigre est le tribut dont je supplie l’octroi :

envoie un messager qui colporte pour Teucros

le bruit funeste, afin que le premier il me

relève, transpercé par ce glaive dégoulinant,

que, découvert auparavant par mes ennemis,

830 je ne sois jeté en pâture aux chiens et aux oiseaux.

Voilà tout, ô Zeus, ce qui t’est confié. — Je prie aussi

Hermès, le guide chthonien, de m’accompagner :

que ce soit sans soubresaut et sans élan abrupt

que je transperce mon flanc au fil de cette épée.

835 — Je prie, pour qu’elles m’aident, les vierges de toujours,

qui voient toujours ce qui advient chez les mortels,

les graves Erinyes au pied tendu : qu’elles sachent bien

que je meure malheureux par la faute des fils d’Atrée.

Puissent-elles châtier vilainement leur vilennie

840 pernicieuse : et de même qu’elles me voient périr

sous mes propres coups, de même, sous leurs propres coups

puissent-ils périr de la main de leurs plus chers parents.

Allez-y, rapides, vengeresses Erinyes,

mordez, n’épargnez pas le peuple tout entier.

845 — Et toi, cocher guidant ton char par le ciel abrupt,

Soleil, quand tu toucheras de tes rayons le sol

de ma patrie, retiens tes rênes armées d’or,

annonce mon aveuglement et mon destin

à mon vieux père, à ma pauvre mère désolée —.

850 Pauvrette, cela, quand elle en entendra le bruit,

son cri retentira partout dans la cité.

— Mais à quoi sert de prononcer ce thrène vain ?

Il faut que je commence, vite : à l’essentiel !

— Regarde, Mort, rapproche-toi, regarde-moi.

855 Mais je te parlerai de près, parvenu là-bas !

— A toi, clarté présente d’un jour étincelant,

Soleil à la roue qui tourne, je jette ce salut,

le tout dernier, qu’aucun autre ne suivra jamais.

— Lumière et seuil sacrés, familiers, du sol

860 de Salamine, socle de l’ancestral foyer,

illustre Athènes, toi et ton fraternel voisin !

— O sources, fleuves de ce pays, ô sol troyen,

je vous dis adieu, vous qui m’avez trop longtemps nourri !

C’est le dernier mot qu’Aias prononce devant vous :

que j’aille chez Aidès parler à ceux d’en-bas.

Après deux ans consacrés à mettre en rythme et en scène Homère (1995-96), le théâtre Démodocos s’est tourné en 1997 vers le répertoire dramatique grec.