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Traduire la parole d’Œdipe roi

en trimètres iambiques (v.774-833)

mercredi 23 mars 2022, par Philippe Brunet

Là encore, une traduction en trimètres iambiques français, entreprise il y a longtemps et finalement mise en scène en 2014. Le texte se trouve aussi dit dans le film Le double destin du roi Œdipe (2021), à quelques coupes près.
Les mêmes règles que pour l’Aias de Sophocle ou pour Antigone s’appliquent. Les six syllabes au temps forts sont marquées en caractères gras (on laisse le choix de faire ou de ne pas faire les liaisons).
D’autres scansions sont parfois possibles.
On évitera d’accentuer la syllabe initiale du vers.
Par rapport au trimètre iambique grec, on a fait le choix d’user, davantage encore que dans l’original, de la possibilité de monnayer les longues (surtout au temps faible), autrement dit de substituer des groupes ternaires à la battue généralement binaire du grec.

Le vers « pur » compte 12 syllabes. On évite généralement d’avoir une césure centrale 6/6, mais cet « alexandrin » peut se rencontrer. En ajoutant une syllabe dans une cellule, on obtient 13 syllabes ; en ajoutant une syllabe dans deux cellules, on obtient 14. Que le vers ait 12, 13, 14, ou 15 syllabes (ou davantage ?), il garde toujours 6 temps forts.

La battue des pas peut s’effectuer dans une alternance temps faible/ temps fort rendue par une alternance pied droit / pied gauche (ou le contraire). La battue iambique, ternaire en grec (une brève, une longue), est de rythme inégal, comme on l’explique dans l’article D’un pied sur l’autre : la base de l’iambe,
la cellule fondamentale
.

ŒDIPE, à Jocaste 

J’avais pour re Polybe, Polybe le Corinthien, 15
pour re, Mérope la Dorienne. J’étais là-bas 14
au premier rang des citoyens, avant ce coup 12
du sort, qui ritait certes mon étonnement, 13
mais qui ne ritait pas autant d’attenon. 13
Lors d’un repas, un homme alourdi par l’abus de vin, 14
dans son ivresse, me traite d’enfant suppo. 13
Abattu par cette scène, je restai tout le jour 14
à ronger mon frein, et le lendemain, je m’approchai 14
d’un re, d’une re, pour les confronter. 12
Ils s’indignèrent contre celui qui m’avait parlé. 14
Ils me rendaient la joie. Mais sans cesse s’insinuant 14
le mot me lancinait, pénétrait plus profond en moi. 14
En cachette d’un père et d’une mère je me rends 14
à Delphes, d’où Phoibos me renvoie, sans me gratifier 14
de ce pourquoi je suis venu. Pour mon malheur, 12
il se révèle, horreur et misère sont ses mots : 13
je devais coucher avec ma mère, produire au jour, 14
parmi les hommes, un sang insupportable à voir, 13
j’allais être l’assassin du père qui m’engendra. 14
Du coup, laissant au loin Corinthe et mon pays, 12
je confïais ma route aux astres dans le ciel, 12
désirant ne jamais voir l’opprobre s’accomplir 13
selon l’horrible oracle qui me fut donné. 13
Je marche, et là j’arrive à cet endroit où toi, 13
tu dis que ce tyran en question a perdu la vie. 14
Je te dirai, ô femme, la vérité. Aux trois 13
chemins, à cet embranchement, je m’approchais, 12
quand un héraut, et un autre homme tel que tu
me l’as décrit, tiré par des pouliches, vint
à ma rencontre : le conducteur et le vieillard
lui-même m’écartèrent de force du chemin.
Alors, le conducteur, celui qui me chassait,
je le frappe de colère  ; quand le vieillard me voit
longer son véhicule, il me guette du coin de l’œil,
et me frappe en pleine tête d’un coup de son double fouet.
Pas le temps de lui rendre la pareille, en un instant,
frappé du coup de bâton que lui donne cette main,
il tombe à la renverse et déboule du chariot.
Je tue les autres, tous. Si vraiment entre l’inconnu
et Laïos doit exister un lien de parenté,
quel homme est plus misérable que l’homme que tu vois  ?
Quel homme, plus que cet homme, est abominé des dieux  ?
Aucun concitoyen ne doit le recevoir
dans sa maison. Aucun ne doit lui parler jamais,
mais tous le repousser. Et ces malédictions,
qui les a lancées, sinon moi-même contre moi  ?
Le lit de notre défunt, je le souille de mes mains,
ces mains qui l’ont assassiné. Suis-je né mauvais  ?
Ne suis-je pas sali  ? S’il faut choisir l’exil,
c’est un exil où je ne dois pas revoir les miens,
ni fouler le sol de ma patrie, ou je devrais
m’unir à ma propre mère, et mon père, l’assassiner,
Polybe, celui qui m’a nourri et qui m’engendra.
Mais n’est-ce pas un dieu sauvage, dira quelqu’un
dans un juste jugement, qui s’est acharné sur moi  ?
Jamais, jamais, ô sainte majesté des dieux,
ce jour ne puisse m’apparaître, mais que plutôt
je m’évanouisse du monde des humains, avant
que de voir sur moi la salissure du malheur  !

(trad. Philippe Brunet)