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Mètre, rythme, intonation

vendredi 23 novembre 2007

La métrique est une discipline de la philologie qui se fonde sur l’étude des quantités, longues, ou brèves, de la langue poétique. Le vers grec est en effet fondé sur le temps, et non sur le nombre de syllabes.

Le mètre est une suite définie de syllabes réparties en plusieurs pieds et selon un certain rythme. Une suite de syllabes ne constitue pas en soi un mètre. Hors de toute interprétation rythmique, en tant que tel, le mètre n’a pas d’existence autre que langagière, et il sert notamment à contrôler l’établissement des textes. Tel est l’enjeu du mètre, qui résulte de la description d’un phénomène de récurrence dans la langue poétique.

Si le mètre ou l’assemblage de mètres qu’est le vers est récurrent, on parle de stique. Le vers, ou stique, d’Homère est l’hexamètre ; il comprend six pieds.

Si la récurrence porte sur un ensemble de vers, on parle de strophe.

Le mètre se fonde sur un rythme ; toutefois, la connaissance ou perception de ce rythme résulte d’une interprétation du mètre.

Les philologues, dans leur approche descriptive des faits langagiers, ont privilégié l’étude métrique et non rythmique du vers pour valoriser l’aspect quantitatif de la langue, et parfois, pour se défaire d’une scansion avec ictus ; ainsi Nietzsche a-t-il sévèrement critiqué ses compatriotes, coupables selon lui d’introduire dans le grec une scansion intensivement marquée et due en large part à l’imitation allemande que les poètes néoclassiques avaient faite du vers grec - souvent avec bonheur, du reste.

Les expérimentations orales, notamment celles du professeur Stephen Daitz, suivi par quelques autres, ont tenté de rendre à la diction orale du grec ancien, avec un certain succès, sa dimension quantitative. On remarque que dans une sorte d’éthique métricienne, le philologue-aède cherche à ne pas privilégier les valeurs au temps fort, à ne rien différencier.

Toutefois, peut-on vouloir rendre le mètre sans faire entendre le rythme ?

Avec la métrique, la philologie accomplit son objet et atteint en même temps sa limite. L’enseignement du grand métricien Jean Irigoin, élève d’Alphonse Dain tout comme M. Stephen Daitz (http://www.rhapsodes.fll.vt.edu/index.php), a poussé à l’extrême cette tentative, désincarnant le temps fort, problématique et tabou, pour lui substituer le temps marqué.

Quelle est la différence entre le temps fort et le temps marqué ? Je crois qu’on ne la trouve exprimée nulle part (cf. articleLe temps marqué). Pour avoir suivi assidûment l’enseignement de Jean Irigoin, je puis dire l’intérêt et la limite du temps marqué.

En fait le temps marqué permet un décompte horizontal des temps ; il ne préjuge pas d’une quelconque hiérarchie entre les syllabes affectées du temps fort et celles qui ne le sont pas. Il permet d’éviter d’avoir à se poser le problème de la perception. Avec le temps marqué, le philologue conduit scrupuleusement son travail de surface - J. Irigoin, très conscient des présupposés de cette méthode, parlait lui-même de métrique de papier -, et ainsi s’interdit de rentrer dans une interprétation, toujours délicate, du rythme et de ses contradictions.

Le mètre, formé de pieds, paraissait pourtant devoir son existence à la danse. Le rythme impose une battue, simple ou complexe. Ignorer cette battue sous prétexte que la diction devrait être purement quantitative et abstraite relève d’une ignorance délibérée des conditions de sa production.

Le langage métrique affecté par le rythme, orienté, contradictoirement tendu vers des pôles, par le retour interne du balancier, par le conflit inexorable que cette structure met en jeu, peut-il se laisser appréhender par la raison philologique ?

Aucun danseur ne pourrait se satisfaire du mètre. Aucun chanteur ne pourrait se satisfaire du mètre. Il est urgent de sortir l’enseignement de cette torpeur.

Le mètre lui-même est pris dans des contradictions qu’on ne saurait ignorer ; dans sa structure intrinsèque, il suppose comme résolus des conflits quantitatifs et prosodiques qui sont loin d’aller de soi.

Ainsi les syllabes, censées se réguler dans une simple opposition de longues et de brèves, prennent des valeurs très différentes selon leur structure interne.
Hiérarchisées et orientées par le rythme, soulignées par l’intonation récessive du mot, affectées par toutes sortes d’accidents - "allongement", "abrègement", "équivalence", "résolution", "contraction", et même "protraction" - on en viendrait parfois à douter de leur identité quantitative.

Or, ce sont tous ces affects qui, disposant du langage métrique, le façonnent et en font la forme et la signification.

L’intonation n’a pas d’incidence sur le mètre et la structure du vers. Néanmoins, lié à la structure quantitative du mot, et notamment à la structure de la syllabe finale, l’accent mélodique du mot souligne la teneur particulière de cette finale. Le rapport de l’intonation et de la progression rythmique d’une séquence de syllabes a été récemment étudié par Emmanuel Lascoux, qui a baptisé cette recherche la tonotopie.

Outre les différentes valeurs de quantités, longues, ou brèves, il y a la teneur particulière du composant syllabique (micro-structure), et ses corrélations dans le système mélo-rythmique (macro-structure) : cette rencontre fait le chant de l’aède.

Philippe Brunet
le 23 - 11 - 07

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